Et si on cassait les préjugés, une poésie libre ?

La poésie se permet-elle toute les audaces ? Les poètes sont-ils vraiment libres?

Une dissertation sur le genre poétique et la liberté, quoi de mieux pour tenter d'approfondir ce genre tant mystérieux qu'éclatant. Cette réflexion est issus d'un de mes travaux scolaires de classe de 1ère (arts appliqués), mais elle m'a permis de découvrir et de me questionner sur la poésie par moi même, ce qui m'a semblé être très enrichissant.


Dans la préface de son recueil « Les Orientales » (1829), Victor Hugo osait affirmer de la poésie qu’elle est « ce grand jardin (…) où il n’y a pas de fruit défendu. L’espace et le temps sont au poète. Que le poète aille donc où il veut, en faisant ce qui lui plaît ; c’est la loi ». Ainsi, Hugo traduit dans ces mots la liberté du poète et sa liberté face à son mode d’expression. Le poète peut se permettre toutes les audaces et se revendiquer libre. Mais cela est-il véridique, le poète est-il réellement libre ? L’a-t-il toujours été ?

Afin d’explorer cette citation, nous nous pencherons sur l’origine de cette proclamation de Hugo dans « Les Orientales »; les normes et codes du genre poétique. Puis, nous nous intéresserons aux capacités du poète et de la poésie à s’émanciper et à refléter la liberté. Enfin, nous évoquerons les limites de cette liberté revendiquée par Hugo en nous questionnant sur les véritables contraintes auxquelles font et ont fait face les poètes.

Tout d’abord, définissons le poète et son rôle. Ce mot vient du latin « poïen » qui signifie créer. Un poète est un guide, un porte parole. Il est pour certain un prophète ou encore un voyant. Le poète est, au départ, le rédacteur de récits en vers destinés à être oralisés. La poésie surplombait tous les genres, les plus grands écrits comme « l’Iliade et l’Odyssée » d’Homère ou encore La Bible sont écrits en vers et témoigne de la forte influence de ce genre.
Jean Pierre Siméon affirme que « La poésie ça sert à voir plus loin, plus profond dans l’obscur », ainsi, il nous montre que le poète cherche à explorer, à comprendre et ouvrir aux autres le monde qui l’entoure. C’est par l’intermédiaire de la musicalité des mots que le poète s’exprime, rendant son discours fort.

La poésie fût pendant de longues années un genre contraignant au service de thèmes évoqués dans des formes peu diverses.

Premièrement, Hugo est, au coté de Lamartine, le chef de file du Romantisme, il remet en cause la poésie du siècle qui le précède. Alors au coeur des débats littéraires du début du XIXème, Victor Hugo a pris parti aux affrontements opposant les classiques et les modernes, comme en témoigne la bataille d’« Hernani » en 1830. Hugo revendique la liberté comme valeur absolue de la poésie face à l’ensemble des normes et des contraintes du genre poétique.

En Effet, la poésie s’est construite sur un fond de règles strictes. Des normes contraignent le poète comme le respect de la métrique, la versification et les formes précises qui s’en suivent. Cette exigence se retrouve dans les poèmes de Verlaine comme « Mon Rêve familier ». La musicalité et le rythme sont ici travaillés dans un sonnet, forme classique utilisée pour traduire les sentiments amoureux, qui est d’ailleurs le thème de prédilection de la poésie classique.

En poésie classique, l’amour est, aux côtés de la mort, la nature, l’au delà et la vie, l’un des grands thème sur lequel les auteurs classiques s’expriment. « La nature est pleine d’amour » de Victor Hugo reprends deux de ces grands thèmes.

Dans le poème de Verlaine, « Mon rêve familier », le « je » renvoie directement à l’auteur. C’est Rimbaud qui en 1871, libère les poètes de l’emprise d’un « je » personnel en affirmant que « Je est un autre ». Mohammed El Amraoui utilise cette ouverture pour écrire « Poème d’amour en état de guerre » en s’inspirant non pas de son histoire mais de celle d’un compositeur palestinien. Dans ce poème fort le poète utilise un « je » qui ne renvoie pas directement à son expérience mais qui lui permet tout de même de retranscrire ses émotions.

Cependant, ces contraintes poétiques n’entravent pas forcément la créativité des poètes puisque ceux-ci les utilisent habillement en vue de rendre leurs poèmes plus forts. Ainsi, Rimbaud utilise le sonnet dans « Le dormeur du val » afin de soutirer le meilleur de la forme (lyrisme) et d’utiliser sa raideur pour souligner le destin expéditif du soldat. Ici la contrainte s’avère être l’alliée du poète. La forme est au service du fond. 
Aragon, lui se tourne vers l’écriture classique, en alexandrins après avoir travaillé des poèmes déconstruits. Il se marginalise des poètes de son époque et démontre que les contraintes n’en sont pas vraiment.

Dans la citation Victor Hugo souligne une forte liberté dans le genre poétique, ce qui, au reflet de la poésie du XXI ème, est véridique. En effet, la poésie aujourd’hui est dénudée de toutes contraintes. Ainsi, le poète se laisse envahir par les mots et nous transmet leurs beautés sans avoir à stopper ou réguler sa spontanéité.

Victor Hugo affirme de la poésie est un genre libre sous tous les points de vues lorsqu’il dit qu’elle est un « grand jardin(…) où il n’y a pas de fruit défendu »

L’évolution du genre poétique jusqu’à nos jours donne raison à l’affirmation de Victor Hugo. En 1842, Aloysius Bertrand écrit le premier recueil en prose, avant Baudelaire, « Gaspard de la nuit ». Il marque alors le déclenchement d’une nouvelle poésie qui n’est pas régi par des contraintes liées à la forme. S’en suit, l’avénement des calligrammes, des poèmes dont le visuel allie art visuel et mots. 
Prenons pour exemple Apollinaire. Avec « Lettres à Lou », le poète s’inscrit auprès de ses contemporains surréalistes dans le refus de toutes formes de convention et de rationalité. Ils considèrent le poète comme étant libre d’inventer ses propres formes et jeux d’expression poétique.

Dans d’autres travaux, Apollinaire révèle une émancipation de la forme du poème. C’est tout d’abord sont recueil « Alcools » qui présenta les premiers poèmes en vers libres. En effet, le recueil perdit ses caractères de ponctuations à l’impression.

Le travail coopératif de Blaise Cendras et Sonia Delaunay révèle une forme de poèmes originale. En effet avec « La Prose du Transsibérien », ils ont réalisé un recueil poétique et pictural. De plus, les poèmes de Cendras ont pour thème le voyage, avec des énonciations des gares Russes traversées… Ainsi le poète est libre d’aller où il veut.
De même, Mohamed El Amraoui plonge dans l’univers marin dans son poème « Raie » et ouvre au lecteur un champ d’imaginaire infini.

Le jardin représente donc un espace sans limite, il se renouvelle et offre toujours de nouveaux lieux à découvrir. Dans cette métaphore de la poésie, Victor Hugo ouvre sur ce qu’est réellement la poésie, ce que cherche le poète en écrivant. 

Dans « le Spleen de Paris », Baudelaire déclare qu’il est à la recherche « d’une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la confiance ». 
Ainsi, la poésie est le reflet de l’âme, des rêves et se laisse portée par la confiance. La poésie doit permettre de divaguer, rêver, sans que des limites stoppent « l’histoire », la phrase. Ici l’auteur revendique l’écriture en prose, forme poétique récente qui permet de ne pas s’arrêter sur des vers, des rimes mais plutôt de s’ouvrir sur une exploration du « moi » intérieur ou bien de l’autre, de ce qui nous entoure et tout simplement d’un choix de l’auteur à travers des poèmes en proses.
Comme le souligne Baudelaire, « La poésie n’a pas d’autre but qu’elle même ».

Aujourd’hui les poètes n’utilisent pas seulement les mots pour rendre leurs poèmes musicals. En effet, Mohamed El Amraoui utilise l’espace complet du poème, c’est à dire autant les mots que le vide qui les entourent. L’auteur donne alors un rythme à son poème, un souffle.

D’après Hugo, le poème est un grand jardin « où il n’y a pas de fruit défendu », ainsi, le poète est libre du choix du sujet. « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire souligne cette liberté. En effet, Césaire peint le portrait « créole » dans son recueil, mais il entame aussi un réquisitoire contre la politique coloniale. Aussi, Mohammed El Amraoui écrit sur l’inspiration dans son poème « Des moineaux dans la tête ». On peut donc affirmer que les thématiques poétiques ont connus une forte émancipation et valident le propos de Victor Hugo puisque ce ne sont pas les sujets de prédilection de la poésie.

« Elle (la poésie) ne cherche pas à déguiser la vie sous de belles parures. Au contraire elle met la vie à nue et nous montre telle qu’elle est, sans mensonge, rude et douce, chaude et froide, brève et immense ». Dans cette citation, Jean Pierre Siméon montre que le thème d’un poème ne doit pas se limiter aux thèmes dit « classiques ». La poésie ne doit pas être belle pour être belle, elle doit refléter le réel. Pour cela tous les thèmes inimaginables peuvent donc être explorés, une infinité de possibilités dans « ce grand jardin » sont ouvertes aux poètes. 
Les thèmes poétiques s’étendent aujourd’hui aux objets du quotidien comme le souligne le poème « Le pain » de Francis Ponge.

Le temps qui passe est un sujet sur lequel se sont penchés de nombreux auteurs. Pierre Reverdy, lui, confirme le propos de Victor Hugo « l’espace et le temps sont au poète ». En effet, dans son poème « Trad dans la nuit », Reverdy s’approprie le temps en employant des antithèses et en utilisant les vides et les pleins pour laisser le temps s’écouler au fil de la lecture. 
La poésie tend également à remettre les mots en chanson, comme à l’époque des troubadours. C’est le Slam, une poésie déclamée avec pour représentant français Grand corps malade qui confirme que la poésie n’est pas un simple texte, citons pour exemple, « toucher l’instant ». Les poésies de Césaire et de Senghor renvoient aussi au rythme de la musique (ici traditionnelle africaine) avec des évocations d’instruments, d’interpellations fortes ou encore des bruits de tam-tam dans « Cahier d’un retour au pays natal » et « Congo ».

Ainsi, la poésie s’est émancipée au fil du temps, offrant aux poètes une plus grande infinité de possible. C’est cette diversification qui fait du poète une personne originale, qui « casse les normes » comme le dit Saint-Johan Perse: le "Poète est celui-là qui rompt pour nous l’accoutumance ». Dans son poème « Invocation, 6 » issu du recueil « Amers », Saint-John Perse célèbre la force naturelle de la mer. C’est à travers ce thème que l’auteur se questionne sur la destinée humaine. De même, le poème de Michaud « La Cordillera de Los Andes » traite de la naissance de l’homme au sein de l’inhumanité.

Si la poésie ne réside plus sur des règles formelles comme la versification, ce genre littéraire reste le fruit d’un travail sur la langue, ses sonorités et ses formes. 
Aujourd’hui dénudée de toutes contraintes, la poésie a d’après Hugo, pour principale loi, celle de ne pas en avoir. La liberté totale peut-elle réellement être une loi ?
La conclusion de cette citation sur ce paradoxe nous questionne sur la réelle liberté des poètes. En effet, ne serait ce pas en réponse aux attentes de grandes instances littéraires comme l’Académie Française que les poètes ont demeuré dans des contraintes malgré une volonté d’ouverture, comme le témoigne Victor Hugo?

On peut affirmer que la poète dépend de son lectorat. Ainsi, ce n’est pas réellement le poète qui fixe ses libertés mais plutôt son public. C’est donc en fonction des moeurs de l’époque et des contextes historiques que certaines audaces et prises de risques des poètes ont été refoulées ou bien acceptées.
Par exemple, le poème en prose, tardif, est aujourd’hui parfaitement accepté alors qu’il aurait été impensable au XVI ème siècle.

En 1859, Baudelaire exprime dans un Salon une crainte à propos de la fantaisie: elle est, écrit-il, « d’autant plus dangereuse qu’elle est plus facile et plus ouverte ; dangereuse comme la poésie en prose, comme le roman (…) dangereuse comme toute liberté absolue ».
Ces paroles soutiennent le fait que lorsqu’un poète s’offre trop de liberté, les lecteurs risquent de ne pas suivre, et l’auteur risque d’être désavoué.
Ainsi, les contraintes que se posent les poètes au fil de l’histoire permettent de mieux répondre aux attentes des grandes instances et des lecteurs. Citons Francis Ponge, qui, désigne ses textes par « pièces » ou encore « proêmes » et qui fût, par le public, qualifié de poète. Ce sont alors bien les lecteurs qui « permettent » les libertés.

Donc, les lecteurs et l’époque dans laquelle évolue le poète entretient un lien fragile avec lui. En effet, ce sont ces deux facteurs qui régissent  et sont à l’origine de ces obligations auxquelles font face les auteurs.

En somme, cette citation de Victor Hugo nous permet de nous interroger sur la liberté de la poésie et des auteurs de ce genre. Le genre poétique est reconnu comme étant un genre contraignant mais la poésie s’est émancipée au fil du temps, se détachant des normes. La question de liberté bien que propre à la poésie dans cette citation s’est vue aussi être traitée dans d’autres genres comme au théâtre, où la règle des trois unités du théâtre classique est aujourd’hui enfreinte.
Mais la poésie, avec ou sans ses contraintes est un genre où le traitement et la musicalité des mots savent briller, peut importe ses formes, son sujet… Le sujet de la liberté s’exprime dans de nombreux poèmes comme le poème de Paul Eluard « Liberté » repris par les Enfoirés.

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