Rédaction d'une préface pour "À la table des hommes" de Sylvie Germain

"À la table des hommes" - Sylvie Germain




 Auteur: Sylvie Germain
 Éditions: Albin Michel
 Genre: Roman Contemporain
 Publication: 2016
 Nombre de pages: (format poche: 249)

Résumé:

"Son obscure naissance au coeur d'une forêt en pleine guerre civile a fait de lui un enfant sauvage qui ne connaît rien des conduites humaine. S'il découvre peu à peu leur complexité, à commencer par celle du langage, il garde toujours en lui un lien intime et pénétrant avec la nature et l'espèce animale, dont une corneille qui l'accompagne depuis l'origine.
Hanté par la violence prédatrice des hommes, illuminé par la présence bienveillante d'un être qui échappe à toute assignation, et de ce fait à toute soumission, À la table des hommes tient autant du fabuleux que du réalisme le plus contemporain."

Dans le cadre de ma seconde année au lycée en section arts appliqués (STD2A: sciences et technologies du design et des arts appliqués), nous avons lu et étudié en oeuvre intégrale: À la table des hommes de Sylvie Germain. En plus des études d'extraits pour l'épreuve anticipée de Français du baccalauréat, nous devions rédiger un sujet d'invention.

L'incitation était la suivante: "Tandis qu'une certaine critique boude le roman, tant que zélé journaliste, vous rédigez un plaidoyer en guise de préface, afin de souligner toutes les qualités de ce récit inclassable. Vous veillerez à user d'exemples précis pour défendre votre cause, avec force d'effets de style."

Ayant réellement apprécié le livre, j'ai rédigé une préface tel que mon avis de lecture me le dictait, ne sachant pas tellement comment une préface devait être abordée et rédigée. En plus d'une bonne note pour ce travail d'écriture, ma professeur m'a proposée d'envoyer mon travail à l'auteur (ce qui est fait! J'attends la réponse possible à la rentrée)! Sylvie Germain, que j'avais pu rencontrer l'année passée par le biais de la classe supérieure qui avait étudier son roman Magnus auprès de cette même professeur, est une personnalité qui m'a marquée. De telle sorte que je choisis de vous partager mon travail afin de vous donner l'envie à votre tour de découvrir la plume de Sylvie Germain.

Attention cependant, si vous lisez cette préface, certains aspects de l'ouvrage vous seront dévoilés, mais il se pourrait, que de la même façon qu'une préface, ces aspects vous donnent encore plus d'appétit face à ce livre! Sur ce, trêve de bavardages, voici ma préface:

C’est une éclosion de vie, une double naissance que présente dans son roman à la frontière de l’essai et du conte, Sylvie Germain. Ode à la nature et au pouvoir des mots, « A la table des hommes » bouleverse tant par sa langue que par son histoire.
A travers le mythe de l’enfant sauvage abordé de façon contemporaine, l’auteur se questionne sur la quête d’identité, la place et le rôle de l’Homme au sein du monde. 

Insufflant la vie là où on ne la sait pas, Sylvie Germain fait palpiter la création dans un écrit réaliste aux allures fantastiques et invite à explorer les mondes naturel, animal et humain étroitement liés. C’est ainsi que débute ce récit flamboyant.

L’histoire commence en compagnie d’une truie et de ses petits, dans un décor de ferme, merveilleux, hors du temps. Riche d’une description poétique forte, l’incipit plonge le lecteur dans un univers onirique, et ce, même pendant les détonations meurtrières, qui semble être une manifestation de vie venue du ciel. « déchire le ciel à l’oblique et s’apothéose en une formidable détonation. » p.12. Dès ces premières pages, la romancière confronte la beauté du monde animal aux folies destructrices de l’Homme. 
C’est par ce coup de maître que l’écriture éclatante de Sylvie Germain mène le lecteur vers la suite d’un récit tout aussi fabuleux, la survie d’un des petits de la portée détruite. 

A hauteur du porcelet, qu’interprète à merveille la romancière, la survie ne tient qu’à un fil. C’est d’ailleurs son plus grand prédateur, l’homme, qui le met en danger. Leurs ressemblances sont soulignées par l’auteur, dans une des réflexion de Lucius: « Il existe une proximité anatomique et psychologique particulière entre l’homme et le cochon (…). Cette parenté biologique est en effet si étroite si étroite qu’elle permet d’effectuer certaines greffes de tissus porcins sur des personnes, et même de déposer un embryon humain dans l’utérus d’une truie, le temps que la futur mère subisse une opération. » p.197 .

A la croisé de deux chemins, celui de ce porcelet à la peau rosée et soyeuse, égaré et affamé, et d’un adolescent martyrisé par la guerre, nait un être hybride, façonné par un duel symbolique. La lutte des deux vivants contre la mort enfante un jeune homme dont l’esprit est encore animal, un enfant sauvage. 
Ce passage narré, prodigieux, riche en figures de style remet en question l’homme, représenté comme la mort et l’horreur face au porcelet, dont la peau soyeuse représente la vie. « Ils ne sentent plus rien, ils sombrent dans la nuit, l’oubli du monde, d’eux-mêmes, de ce qu’ils furent. Ils s’abandonnent. La mort et la vie alors font volte-face. »

L’horreur de cette scène, « indescriptible » est poétisée par Sylvie Germain et offre une vision d’une transmutation dansée. « Il se tourne vers cette roseur, il l’empoigne, s’y 
agrippe, il aspire le souffle sibilant qui en flux par à-coups, il enfonce ses ongles dans la peaux soyeuse, il étreint cette chaire pleine et tendre. Il enlace le gros coup rond de l’animal, il s’arrime à la gorge de la vie même, et ses bras ses mains, se font étaux de fer rouge. »

« Or me voici, moi que la terre à mis au monde…
Un homme, moi ? » Grégoire de Nareck, Chapitre II

Après cette étape virulente, l’enfant sauvage, presque homme, sort de la forêt et rejoint un village proche. Il est invité « A la table des Hommes ». Alors qu’il découvre la complexité du langage et du monde humain, il doit tout apprendre: de lui et de ses congénères. Cependant, le jeune homme ne cherche pas à savoir d’où il vient, il se préoccupe plus de l’instant présent. Ce conseil plein de compassion de la romancière nous invite à vivre pleinement notre vie. Malgré tout, un lien intime et pénétrant lie Babel à la nature, comme cette corneille, trace d’un passé inconnu pour le nouveau héros.

« Il n’a pas peur dans cette obscurité aussi mouvante que bruissante, ses sens s’y aiguisent comme une lame sur une meule, et il connaît bien son domaine, il sait s’orienter, se protéger des dangers, trouver où et comment se dissimuler au moindre bruit suspect, surtout s’il s’agit de voix ou de pas d’hommes. Il se méfie bien davantage de ceux-ci que des animaux sauvages, car les humains fouinent partout, et certains portent un fusil à l’épaule, prêts à tirer sur toute bête comestible, et aussi, par mégarde, par excitation ou par jubilation, sur tout ce qui bouge, comme si la vie des autres vivants leur était un défi, un obstacle à abattre, la promesse d’une bouffée d’ivresse sanguine. » p 78. Ce passage marque une transition forte du récit: celle du passage de la vie animale à celle de la vie humaine, à laquelle Babel n’est pas encore habitué. Ici, le héros « retourne » dans son passé, là où il vivait.

Nommé Babel puis renommé Abel, le jeune homme hybride est guidé par différents personnages, qui par leurs singularités, lui permettent de devenir un être multiple, façonné par la nature, les femmes et les hommes. C’est aux côtés de ses nouveaux semblables et jusqu’à l’âge adulte que le lecteur suit l’évolution du héros qui acquiert une sensibilité atypique à travers l’apprentissage: il se laisse bouleverser par le monde qui l’entoure.

La métamorphose, fil rouge de ce roman, fait évoluer le héros sur les points physiques et mentaux pendant tout le récit. Ce qui suscite en lui de nombreuses réflexions, qui par le biais du point de vue omniscient sont confiés au lecteur. C’est alors sa vision du monde, ses découvertes et la société qu’il rencontre qui y sont décrites à travers sa nouvelle passion, les mots.
« Plus il s’avance dans le territoire des mots, plus celui-ci s’évase , s’accroît, il s’accidente, il se creuse où s’élève. Il y a des moments où Abel oscille entre angoisse et vertige devant cette immensité qui lui semble en écho à l’infinité de l’univers - en expansion continuelle. » p.210. Cette passion, devient très forte au long du texte : « Le langage se fond et se mêle à son sang, à sa chair, il irrigue son coeur, son esprit, il énerve les sens, les éclairent, les affinent, parfois il les assombrit, les assourdit, les blesse. »

Comme dans Magnus, l’auteur retrace sa hantise pour la violence humaine avec un style époustouflant dans lequel évolue un être qui échappe à toute assignation par son originalité, son passé et surtout par la quête d’identité qu’il mène au long des péripéties vécues dans le récit.

Poétique et intrigant, le roman mène ce personnage inattendu à se heurter à la brutalité des hommes, à leur violence prédatrice. « Seuls les hommes ont ce souci rongeant, et pour être remarqués, autant que pour éliminer qui s’avise de leur faire de l’ombre ou simplement qui ose ne pas les glorifier ni se soumettre à eux, ils sont prêts à tout, à commencer par tuer. ». Animal puis homme, ignorant ses origines, le héros offre donc un regard innocent sur à la violence rencontrée au cour du récit qui se manifeste à différentes échelles. 

« Voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme. Mais le faisant, mon coeur, préservez-moi de tout haine, ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine. » Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal. Chapitre III.

L’histoire ne fait référence à aucun espace géographique et temporel, ce qui rend le récit accessible à tous. Cependant, Sylvie Germain est parvenue à replacer de son trait fort la furie des hommes telle qu’elle est aujourd’hui, celle qui porte atteinte à la liberté d’expression. 

Ce livre éblouissant, propose une réflexion sur le bestialité des hommes, les injures animales, qui nous li avec cet autre monde inconnu. L’auteur met sur un piédestal ces insultes « animales » fondées sur le caractère des hommes, plutôt que sur les animaux. Les véritable injures sont celles qui réfèrent à l’homme: « orgueilleux », « tueur », « dévastateur »… Y a-t-il en chaque homme un porc qui sommeille ?

Dans son roman, l’écrivain met en avant les différents sens, qui permettent de relier avec le monde originel, naturel. La justesse des mots et leurs agencements offre une lecture fluide, vivante et passionnée, à laquelle chacun devrait prêter attention.
De plus, la musicalité des mots et le rythme du récit constituent la force de cet écrit intemporel. « La paille fraichement répandue dans l’enclos forme un îlot doré qui luit au soleil du matin, elle exhale une odeur douceâtre, celle du corps étendu sur ce pan de jaune d’or est plus lourde, pénétrante. » p.11

Afin de goûter cette richesse et cette musicalité de la langue, il faut lire le roman sans bruit ni mouvement autour. Cela, dans le but de découvrir avec éclat la beauté de la nature : du porcelet et de ses semblables, la sensualité des femmes, la richesse des personnages comme Clovis où encore Ghrizal, complexes et fabuleux, qu’incarnent remarquablement bien Sylvie Germain à travers ces pages.

Aucune excuse face à ce chef-d’oeuvre; dont l’imagination insoupçonnée, par tant de talent invite le spectateur, devenu acteur de sa lecture, à se poser mille et une questions sur l’animal, l’humanité, son organisation, la nature, la culture et sur Dieu; il faut le lire pour le comprendre.



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